
Minoru Mochizuki sensei était un grand maître d’art martiaux, un communicant exceptionnel, un témoin de la transition des Bujutsu au Budō telle qu’initiée par les innovateurs Jigorō Kanō et Morihei Ueshiba, et également un opposant à la corruption grandissante actuelle des Bujutsu et Budō classiques dans des formes plus sportives et commerciales. Adriano Amari, qui la chance de le rencontrer, nous propose ici son souvenir de Mochizuki sensei
par ADRIANO AMARI


Minoru Mochizuki sensei est né le 7 avril 1907 à Shizuoka. Il était issu d’une famille de pratiquants d’arts martiaux et son père pratiquait le kenjutsu et le Jūjutsu dans le célèbre dōjō de son beau-père. Lorsqu’il déménagea très jeune à Tokyo, il commença à pratiquer le Jūdō à l’âge de 5 ans puis le kendō et le . C’est dans cette dernière discipline qu’il fut pris comme étudiant par Oshima Sanjuro, soke du Gyokushin ryū, ancien style spécialisé dans les dislocations articulaires, les techniques de hanche et les sutemi, avec un riche répertoire de Tai sabaki. Cette pratique particulière aura plusieurs développements par la suite.
Il fut accepté en 1927 comme uchi deshi par Kyūzō Mifune sensei (directeur du Kōdōkan, 10e dan de Jūdō) où il fut remarqué par Jigorō Kanō, qui en fit l’un de ses plus brillants assistants et chercheurs. Sur l’initiative de ce dernier, Minoru Mochizuki intégra une section spéciale du Kōdōkan, la Kobudō Kenkyukai. Cette fondation était supposée entraîner les meilleurs talents du Kōdōkan dans les anciens arts martiaux, les Koryū Bujutsu. Minoru Mochizuki sensei étudia Tenshin Shōden Katori Shintō Ryū (escrime classique japonaise), Shindō Musō Ryū (escrime au Jō) et recommença l’étude du Kendō avec l’un des plus grands experts du moment, Nakayama Hakudō, qui l’initia également au Musō Shindō Ryū Iai. Il fut ensuite envoyé par Jigorō Kanō s’entraîner auprès de Morihei Ueshiba, fondateur de l’Aikidō. Tenu en haute estime par Ueshiba sensei également, Minoru Mochizuki sensei retourna en 1931 à Shizuoka, renouant avec sa famille, et y ouvrit son propre dōjō, le Budō Yōseikan. Quelques années plus tard, en 1936, naît son premier fils, Hiroo.

En 1938, Il reçut une importante charge gouvernementale et déménagea en Mongolie, où il occupa la position de vice-préfet du district. Une fois la guerre terminée, il retourna au Japon en 1946, et peu de temps après reprit l’enseignement dans son dōjō.
En 1951 il fit partie de la délégation culturelle du Japon invitée à pour un évènement de l’UNESCO à Genève. En raison d’une mésaventure virgule il dû rester en Europe euh où il donna des leçons et des démonstrations de Jūdō, d’ Aikidō et de Bujutsu. Son travail continua Les années suivantes, Plus particulièrement en France, aidé par le fait que son fils Hiroo eut déménagé dans ce pays, où il promut aussi le karaté en plus des arts martiaux paternels, et par la suite, y créa le Yōseikan Budō.
Minoru Mochizuki sensei continua son enseignement au Japon, où il atteint les plus hauts grades dans de nombreuses disciplines qu’il pratiquait. Il continua à voyager en Europe, même si, à partir des années 80 son âge et sa santé limitèrent ses déplacements.
En l’an 2000, il reçut la délégation du Yōseikan Budō européen à Shizuoka. En 2001, en raison de sa mauvaise santé, il émigra définitivement en Europe, auprès de son fils Hiroo à Aix-en-Provence, où il se dédia à la transmission de sa technique à son fils et à son petit-fils Michihito ainsi qu’aux hauts gradés du Yōseikan Budō International. À l’été 2001, il transmit la succession en tant que Soke du Yōseikan à son fils Hiroo devant une assemblée internationale des instructeurs de l’école.
Accablé par sa situation, il se retira progressivement du monde jusqu’à sa mort le 30 mai 2003.
Ses grades
Durant sa longue carrière, Minoru Mochizuki sensei reçut de nombreuses distinctions dans plusieurs arts martiaux. Voici une liste exhaustive :
- 10e dan Aikidō, Meijin, grade Kokusai Budō In reconnu par la famille Ueshiba.
- 9e dan Nihon Jūjutsu
- 8e dan Jūdō Kokusai Budō In
- 8e dan Hanshi Tenshin Shōden Katori Shintō Ryū
- 7e dan Jūdō Kōdōkan
- 7e dan Iaidō, Kyoshi, Zen Nihon Iaidō Renmei
- 5e dan Kendō Zen Nihon Kendō Renmei
- 5e dan Shindō Musō Ryū Jō Jutsu
Il reçut également les certifications traditionnelles suivantes :
- De Morihei Ueshiba, un Menkyo Kaiden et deux rouleaux Okuden “Goshinyo no Te” et “Hiden Ogi no Koto”.
- De Sanjuro Oshima, Soke du Gyokushin Ryū, le “Shoden Kirigami Mokuroku”.
Le professeur
Minoru Mochizuki sensei fut un grand maître d’arts martiaux, un communiquant exceptionnel, un témoin de la transition du Bujutsu au Budō impulsée par des innovateurs comme Jigorō Kanō et Morihei Ueshiba, et aussi un opposant de l’actuelle corruption allant croissant des Bujutsu et Budō classiques en des versions sportives plus commerciales.
Minoru Mochizuli sensei est né dans un Japon toujours rural et médiéval, un monde où la campagne et des villes faites de maisons de papier était la norme, où un passé intact était présent au côté de la nouvelle ère, provenant d’un progrès « occidental » tout d’abord imposé, puis adopté, et qui devint par la suite intrusif et corrupteur. Jeune homme attentif et doué, il fut un élève estimé et distingué de personnalités exceptionnelles, de professeurs universellement connus comme Jigorō Kanō, Morihei Ueshiba and Kyūzō Mifune,, ainsi que de professeurs moins connus mais non moins importants et valabres comme Hakudō Nakayama, Sanjuro Oshima, Ichiro Shiina, Toku Sanbo et Takaji Shimitsu.

Il fut commissionné par Jigorō Kanō sensei pour développer un art martial qui, utilisant les principes fondateurs éthiques et éducatifs du Jūdō, développerait sa technique en incluant les aspects variés des disciplines japonaises historiques, comme les pratiques armées et les différentes formes de Jū Jutsu. L’Aïkidō Yōseikan, le Nihon Tai Jutsu et le Yōseikan Budō prendront leur essor sur cette base.
Il est difficile de se souvenir d’un tel personnage sans tomber dans la rhétorique et d’éviter d’utiliser des images et appellations pompeuses comme « le dernier samourai », ou « l’homme avec le plus de dans au monde » . Je veux ici brièvement parler de lui, comme je m’en rappelle, et pour ce que j’en ai entendu, les nombreuses choses dont ils m’ont parlé. Les mots de son fils, mon sensei, Hiroo Mochizuki, et des autres seniors du Yoseikan, ou même des personnes des autres arts martiaux qui l’eurent connu.
Je réserve pour la suite plusieurs regards très intéressants, leur donnant leur propre espace.
Ma rencontre avec lui
J’ai eu la chance de le croiser en personne au milieu des années 80, lorsque Minoru sensei assistait aux séminaires estivaux de Yōseikan Budō organisés par son fils Hiroo. C’était en 1986.
Je n’avais jamais vu Minoru Mochizuki sensei auparavant, à la fois parce que je n’évoluais qu’au sein du Yōseikan Budō, et aussi parce que le vieux professeur, n’étant plus en bonne santé, avait réduit ses voyages en Europe. Il était déjà âgé, et souffrait des conséquences d’une maladie qui l’affait affaibli. Néanmoins, je fus capable d’immédiatement remarquer combien sa présence dominait toujours le tatami et d’apprécier la manière dont le Maître donnait son enseignement avec efficacité didactique et clarté.

Je me souviens parfaitement de cette première rencontre, je l’avais aperçu alors qu’il descendait du légendaire van Wolkswagen de son fils. Un vieil homme bien vivant de quatre-vingt ans, avec d’évidents maux handicapant ses déplacements. Il semblait être quelqu’un s’attendant à être écouté et avait une indiscutable aura de charisme et d’autorité.
J’ai immédiatement réalisé que Minoru Mochizuki sensei semblait vivre deux vies totalement différentes. Dans la normale, il était un vieil homme qui marchait à petits pas continus, souffrant de la chaleur et s’arrêtant parfois pour se reposer. Sur le tatami, il était un maître-dragon qui arrivait à grands pas, dominant situation et spectateurs. Son enseignement était linéaire, les techniques étaient des concepts et les concepts matérialisés en techniques. Minoru Mochizuki sensei montrait une « forme », une possibilité, et expliquait la technique liée en démontrant sa simplicité intrinsèque. L’action semblait aussi simple que respirer quand il la démontrait.
Son expérience était universelle, adaptée à l’étendue de ses études et à la compétence extraordinaire de ses vieux maîtres. Il préférait insister sur certains champs spécifiques : les projections, parfois du groupe des sutemis (techniques sacrifices), les combinaisons de combat au sol avec une préférence pour la strangulation, leviers et immobilisations où Uke était collé à plat ventre au sol. Les techniques aux armes étaient particulières, au-dessus de tous les principes d’escrime au sabre et au bâton. Comme je l’avais vu, au départ, comme un vieil homme en dehors du Dōjō, j’étais d’autant plus impressionné par l’agilité avec laquelle il se déplaçait sur le tatami : dans les projections exécutées dans le mouvement et avec le sens du temps, ce qui transformait le « lancer » en un moment soudain et impalpable ; dans le combat au sol, où il immobilisait des géants, les clouant au sol ; à l’escrime, où il battait ses opposants avec son épée de compétition comme s’il connaissait leurs pensées avant l’action. Nous le suivions comme il errait parmi nous, athlètes, en vérifiant nos performances, expliquant à chacun comme s’améliorer, offrant des solutions techniques subtiles et ingénieuses.
Ce fut à cette occasion que, à un certain moment, il nous appela, voulu nous dire qu’il appréciait grandement notre pratique et qu’il était fier des réalisations du Yōseikan Budō construit par son fils Hiroo.

« L’évolution est le devoir de chaque enseignant », soulignait-il. « Dans mon école, je l’ai rendu possible afin d’accéder aux enseignements variés de mes professeurs, mais séparément, confiant dans le système avec lequel ils me les avaient transmis. Mon fils a fait le pas suivant, en les unifiant et en créant un système logique et naturel ».
La même année, à la fin du séminaire (qui durait deux semaines), des compétitions individuelles étaient prévues à un niveau international, un véritable tournoi mondial individuel. C’était l’une des toutes premières compétitions au sein du Yōseikan Budō, après les Championnats du monde organisés à Parme et gagné triomphalement par l’équipe nationale italienne. Il y avait une représentation significative d’athlètes du monde entier, attirés non seulement pas ce séminaire exceptionnel en soi mais aussi par la proximité avec cet évènement, et ses défis inhérents.
Lors d’une pause dans les compétitions, Minoru Mochizuki sensei présenta une démonstration, réalisant sa version des onze kata de Iai de Tenshin Shōden Katori Shintō Ryū. L’harmonie de ses mouvements et la projection de son esprit martial dans l’action rendit la vue effrayante et magnifique. Les jeunes, les compétiteurs, les athlètes à leur capacité physique maximale, réalisèrent en regardant cette présentation que la vitesse et la force n’étaient pas tout, et que durant le processus d’étude et de vieillissement d’autres caractéristiques et talents prenaient le dessus.

Minoru Mochizuki sensei et l’Europe
Le rôle historique de Minoru Mochizuki sensei pour nous, Européens, est particulièrement important. Il fut notre « portail vers l’Orient ». A travers lui, et d’autres maîtres qu’il envoya directement ou indirectement en Europe, l’Occident européen pu connaître les arts martiaux japonais dans leur intégralité. Il est vrai que, en Jūdō et pour certains styles traditionnels de Jū Jutsu, des maîtres japonais étaient déjà venus en Europe, mais leur enseignement n’a jamais été aussi profond ou global que ce que Minoru Mochizuki pouvait offrir. Grâce à Minoru sensei, le Jūdō français a pu se développer énormément en qualité et quantité, grâce à Minoru sensei, l’Europe a pu apprécier l’Aikidō, le Kendō, les Kobujutsu et le Iai. Plus encore, Minoru agit comme un lien avec de nombreux autres enseignants, publicisant leurs arrivées en Europe, et rendant possible pour les Européens de connaître leur existence et de prendre avantage de leurs techniques. Grâce au Yōseikan et à Minoru sensei, son fils Hiroo partit pour l’Europe, où il introduisit le Karate et aida à son développement, envoyant de nombreux maîtres où le besoin s’exprimait.
Cette action déclencha, indirectement, d’autres arrivées, l’Aïkikaï envoyant Abe, Tada et Tamura en Europe afin de concurrencer l’Aïkidō du groupe Yōseikan, et afin de concurrencer le Wadō Ryū, le Shōtōkai et le Shitō Ryū promus par le Yōseikan Dōjō, la JKA envoya les sensei Kase, Shirai et Enoeda. Grâce à Minoru sensei, l’intérêt dans les écoles traditionnelles de Bujutsu s’est développé, et que Sugino Yoshio sensei, Hatakeyama sensei et donc la Tenshin Shōden Katōri Shintō Ryū arrivèrent en Europe. D’autres, en parallèle, recherchant d’autres approches, contactèrent Tokimune Takeda afin d’apprendre le Daitō Ryū ou Shimitsu pour le Shindō Musō Ryū. De plus, ce fut grâce au fils de Minoru sensei, Hiroo Mochizuki sensei, que des maîtres de Karaté comme Murakami arrivèrent dans diverses villes européennes.

En regardant Minoru Mochizuki, en examinant son maintien et son apparence, on pouvait voir transparaître l’image des budōka qui furent ses grands maîtres. Chacun de nous ressentait le présence des gens incroyables, dont les actes semblent appartenir à la légende. Il en était un témoignage vivant, sa technique un rappel constant de ces géants, mais chacun pouvait voir sa main comme un adaptateur, interprète et innovateur. Tempéré par l’approche didactique structurale de Kano, l’enseignement de Minoru sensei était clair, objectif, expérimental, tourné vers la confrontation pour la dépasser. L’idée « moderne » du fondateur du Jūdō était de reconnaître l’éducation comme objectif des arts martiaux ; l’individu devait se connaître et progresser afin de renaître, renouvelé par la confrontation à l’autre. En conséquence, le principe d’objectivité de la technique, établi par Jigorō Kanō sensei, constituait pour Minoru Mochizuki sensei un impératif précis : une spécification technique ne pouvait intégrer l’héritage technique de l’école Yōseikan que si elle était applicable partout et pour tout cas, constituant « le meilleur usage de l’énergie ».
Minoru Mochizuki sensei accentuait parfois ce concept : dans une technique, l’essentiel est l’efficacité. Quiconque, l’effectuant correctement, devait obtenir les mêmes résultats. Curieux, il passait au crible toute technique qu’il pouvait observer, examinant ses critères d’efficacité, l’adaptant à la lumière de son expérience pour tenter de la rendre applicable pour tous.
En plus du « Grand enseignement de Kano », les autres influences de son enseignement viennent de Ō Sensei Morihei Ueshiba, du Gyokushin Ryū d’Oshima sensei, du Kendō de Nakayama sensei, du Katori Shintō Ryū de Shiina sensei.
De Ueshiba et Mifune sensei, Minoru sensei emprunta l’idée du mouvement circulaire, tandis que l’enseignement du Gyokushin qu’il reçut plus tôt – et mûri plus tard – projetait le même mouvement en un concept spatial, tridimensionnel, où le centre de l’action est flottant entre les deux êtres en mouvement. De l’art de l’épée, Minoru sensei a retiré l’élégance, la simplicité, l’action directe et fluide, une action dans le même temps sûre et sans échappatoire.

Minoru Mochizuki sensei parlait avec un grand respect de Ō Sensei Morihei Ueshiba, indiquant que sa vision de l’Univers avait produit une nouvelle voie de conception du Budō, en faisant non seulement une voie de l’individualité, mais le véritable lieu de toute chose. Mochizuki sensei disait qu’il n’était venu à comprendre l’immensité de la vision d’Ō Sensei Morihei Ueshiba qu’avec la maturité, et disait que la véritable compréhension était quelque chose de difficile et personnel, que chaque étudiant devait trouver pour lui-même, ce qui ne se produisait qu’en temps et heure. L’ Aikidō Yōseikan contient des techniques de l’ensemble de la carrière de Ueshiba sensei afin de permettre à l’étudiant de suivre la même voie, afin de saisir les expériences qui ont donné à Ueshiba sa magnifique vision.
Mochizuki Minoru sensei nous raconta ceci et de nombreuses autres histoires. Ayant foi dans l’enseignement traditionnel, il adorait interrompre la pratique avec la narration des épisodes de la vie de ses enseignants, et de leurs dires.
Lorsque son heure vint, il murmura simplement « Merci ! ». Il fut une personne spéciale, une personne ayant eu une vie riche et unique, en faisant une icône exemplaire.
Qu’est ce qui distingue un individu d’un autre ? Quelles en sont les caractéristiques qui nous font en faire l’éloge, l’approbation ou la désapprobation ? Minoru Mochizuki est le prototype, l’incarnation et le modèle du maître. Ses propres tuteurs et mentors ont immédiatement senti en lui le talent rare du professeur naturel, et ont toujours considéré ce don, le forgeant pour cette tâche.
Le travail de Minoru Mochizuki a toujours été cette transmission et cette dissémination de l’enseignement de ses maîtres, les grands innovateurs qui, au tournant des dix-neuvième et vingtième siècles, essayèrent de promouvoir le Budō come une forme d’éducation, de compréhension et de développement personnel. Aujourd’hui, son héritage perdure dans les mains de ses légataires, son fils Hiroo sensei, Alain Floquet sensei et l’Aikibudō, Roland Hernaez et le Nihon Tai Jutsu, le groupe Seifukai, le Budō Yōseikan, Terumi Washizu et le Gyokushin Ryū et d’autres. Grâce à eux, l’ensemble de son héritage est toujours vivant et utile pour tous.
Copyright Adriano Amari ©2020
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Traduction : Emmanuel Betranhandy ©2021